Association Développement des Iles Comores
Présidente: Madame Anne Etter
Tél: 0147889894
- e-mail-m4034@club-internet.


POUR VOTRE INFORMATION

COMPTE RENDU DE LA CONFERENCE-DEBAT DU LUNDI 20 décembre 1999

Organisée par le Conseil Economique et Social de BOURGOGNE

En partenariat avec:

l'Association Bourguignonne pour la Coordination de la Coopération Internationale
l'A.D.I.C (Association pour le Développement Des Iles Comores)
l'Association Des Comoriens de Dijon


LISTE DES INTERVENANTS

M. le Pdt BODINEAU p. 24
Son Excellence Thoueybat SAID OMAR HILALI p. 4
M. AHMADI p. 16, 17
M. Pierre CORNILLOT p. 21, 22
Mme Anne ETTER p. 2
M. Pierre FEUILLEE p. 2
M. Pierre GUILLET p. 17, 21, 22
M. Alain HOUDAILLE p. 3. 6, 9, 10, 15, 17, 21, 22, 24
M. Jean JULVEZ p. 10, 15, 16, 17
M. Philippe MAUPETIT p. 16
M. Jean MOUCHET p. 6, 9,10,15,16, 22
M. Luc NOIROT p. 15
M. Ahmed OULEDI p. 16, 22
M. Amédé RANDRIANANTENAINA P. 9
M. Bernard VERSET p.17
M. Jean-Marc ZAMBOTTO P. 9

M. PIERRE FEUILLEE.- Au nom du Conseil économique et social, je voudrais vous saluer tous pour votre présence qui, je l'espère, sera active, ainsi que les personnalités qui nous ont fait l'honneur et l'amitié d'être présentes cet après-midi :
Son Excellence Thoueybat Said Omar Hilali, ambassadrice de la République Fédérale Islamique des Comores à l'Unesco,
Mme Anne Etter, présidente de l'association pour le développement des îles Comores, l'une des chevilles ouvrières de cette journée,
M. Jean Julvez, médecin général de la santé publique, conseiller pour la recherche médicale au ministère des Affaires étrangères,
M. Pierre Guillet, expert auprès de l'Organisation mondiale de la santé à Genève,
M. Ahmed Ouledi, entomologiste, directeur du Programme national de lutte contre le paludisme aux Comores,
M. Jean Mouchet, inspecteur général de recherche.
Ces personnalités participeront à la table ronde qu'animera Alain Houdaille, conseiller économique et social de Bourgogne, président de l'Association bourguignonne pour la coordination de la coopération internationale.
Après nos nombreux débats et réflexions sur l'idée de coopération et notre réflexion bourguignonne par rapport à des pays moins favorisés que le nôtre, il nous a semblé que l'heure était venue de nous poser des problèmes concrets sur un sujet hélas concret et sur un terrain intéressant : les îles des Comores.
Vous remerciant encore de votre présence et de votre participation, je passe la parole à Mme Etter.

MME ANNE ETTER.- Bienvenue à tous. Pourquoi aujourd'hui, à Dijon, une conférence-débat sur le paludisme et une exposition sur les Comores ?
Mes liens avec ces îles m'ont amenée à participer à des actions d'intérêt général dans le domaine de la santé, tout particulièrement à Mohéli, la plus petite île de l'archipel. Ces modestes actions ont abouti à la création de notre association en Bourgogne, l'ADIC (Association pour le développement des îles Comores).
Au nom des Comoriens et en mon nom personnel, je remercie chaleureusement les personnes qui nous ont permis de réaliser cette conférence-débat, suivie de l'exposition sur les Comores
M. Jean-Pierre Soisson, président du Conseil régional de Bourgogne,
M. Pierre Bodineau, président du Conseil économique et social de Bourgogne,
Nos partenaires :
- l'AB2C (Association bourguignonne pour la coordination de la coopération internationale) ;
- l'AMF (Association des Mohéliens en France) ;
- la société Solétanche Bachy;
- l'Association Démocraties et Solidarités,
- l'ASCODI (Association des Comoriens de Dijon),
- tous les intervenants: Mme Thoueybat Said Omar Hilali, ambassadrice de la République Fédérale Islamique des Comores à l'Unesco;
M. Jean Julvez, médecin général de santé publique, conseiller pour la recherche médicale au ministère des Affaires étrangères ;
M. Pierre Guillet, expert de l'Organisation mondiale de la santé;
M. Jean Mouchet, inspecteur général de recherche;
M. Ahmed Ouiedi, entomologiste et directeur du Programme national de lutte contre le paludisme aux Comores ;
M. Mohamed Maolida, conseiller au tourisme à l'ambassade de la République Fédérale Islamique des Comores.
Merci à ceux qui sont venus de toutes parts ainsi qu'à celles et ceux ayant préparé cette journée sur le thème " La lutte contre le paludisme ", cette affection qui frappe les pays les plus démunis sans susciter l'intérêt qu'elle mérite dans le combat des grandes endémies.
Je profite de ce moment privilégié pour remercier la Mission de coopération française qui nous a permis de réaliser à Mohéli le projet de lutte contre le paludisme, ainsi que l'Association Démocraties et Solidarités, première à nous sponsoriser, représentée ici par M. J-François Charrier.

Je laisse la parole à Alain Houdaille qui va animer cette conférence-débat et vous présenter les intervenants. (Applaudissements).
M.ALAIN HOUDAILLE.- Ces applaudissements sont tout à fait mérités pour le travail et le dévouement que Mme Etter - comme j'ai pu m'en rendre compte - met dans l'action qu'elle mène aux îles Comores, son pays d'origine.
Je rejoins les remerciements adressés à l'ensemble des participants ainsi que les mots de bienvenue. Avant de commencer cette table ronde, je voudrais vous dire un mot rapide de l'AB2C, dont Pierre Feuillée a brièvement rappelé l'historique tout à l'heure.
J'ai l'honneur et le plaisir de présider cette association avec dix-huit coadministrateurs originaires d'associations - vous êtes nombreux en Bourgogne à intervenir dans les pays en voie de développement - et d'établissements scolaires (lycées, collèges, universités). Des personnes physiques s'engagent également et quelques collectivités locales - pas autant que nous le souhaiterions - interviennent notamment en direction des pays qui souffrent.
Je ne limite pas le champ d'intervention à l'axe nord-sud mais au monde entier: les anciens PECO, l'Amérique Centrale, l'Asie du sud-est, etc..

Je vais vous présenter en quelques phrases AB2C, qui a trouvé son origine dans un avis rendu dans cette salle, que j'ai présenté devant le Conseil économique et social au printemps 1997. Cette association est née au lendemain des premières Assises régionales de la coopération et de développement international qui se sont déroulées le 2 juillet dernier.
Nous avons commencé à exercer notre mission statutaire, en particulier dans le cadre de la " Semaine de la solidarité internationale " qui s'est tenue en novembre dernier, dont cette journée se situe d'ailleurs dans le prolongement. AB2C se fixe un certain nombre d'objectifs:

- Nous préparons une charte régionale de la coopération internationale du développement et du codéveloppement, référent indispensable pour l'action que nous menons.
- Nous allons prendre des initiatives pour développer la coopération associative et décentralisée en Bourgogne, en particulier au niveau des collectivités locales. Nous saisirons en particulier l'opportunité de la mise en place de l'intercommunalité pour essayer d'intervenir auprès des collectivités. Un travail commence à se mener en Bourgogne sur cet axe-là.
- Nous comptons prioriser notre action en direction des milieux scolaires. Il me semble que notre jeunesse, dans le cadre du débat sur la citoyenneté, est un atout majeur dans notre région pour le développement de la solidarité internationale.
- Nous aiderons l'ensemble du réseau des acteurs de la coopération en Bourgogne à porter leurs projets, ce qui n'est pas toujours aisé (on se perd dans le dédale des crédits, des dossiers). Nous avons souvent constaté qu'une grande part des budgets passe dans la préparation de la mission au lieu d'être affectée sur le terrain.
- Nous comptons développer une information interactive et avons déjà adopté un logo attractif pour la solidarité en Bourgogne. Nous monterons notre site lnternet, sur lequel chacun des acteurs de la coopération en Bourgogne pourra être hébergé et présenter ses missions et projets.
- Nous allons mettre en place un vivier de compétences, avec des personnes volontaires, qui sera à la disposition des acteurs de la coopération. Si par exemple une association a besoin d'un technicien ou d'un ingénieur pour sa mission, il pourra venir à AB2C y puiser.
- La dimension de la coopération devant toucher aussi l'entreprise dans sa globalité, nous allons essayer de mettre en place le congé solidaire, lorsque l'entreprise et le salarié y trouvent un intérêt commun. Cette action pertinente sera développée dans les prochains mois.
- Nous avons pris contact avec l'Université de Bourgogne, les écoles supérieures et les divers instituts, excellents leviers pour la coopération. A l'Université de Bourgogne, près d'une vingtaine de conventions sont signées avec les pays en voie de développement. C'est également un atout que nous devons explorer.
- Le codéveloppement figure également au rang de nos priorités. Nous allons travailler en étroite collaboration avec les associations de migrants en Bourgogne pour voir comment, avec elles, nous pouvons développer des projets. Le Maroc en particulier peut être un pays intéressant dans la période actuelle.
- A plus long terme, nous projetons de créer une plate-forme logistique régionale qui permettra, à la demande des associations, de récolter du matériel d'hôpital, des médicaments et d'assurer les convois que nous pouvons qualifier d'humanitaires.
- Nous consacrerons un temps pour les échanges et les évaluations. Notre prochaine journée d'évaluation, qui concernera une quinzaine d'associations intervenant au Burkina Faso, se tiendra au cours du premier trimestre. Puis, au fur et à mesure, nous explorerons les autres pays dans lesquels des acteurs de Bourgogne interviennent. Je pense notamment au Mali.
La journée d'aujourd'hui, à travers les échanges qui auront lieu, est à mettre au rang de ces temps d'échanges.
Voilà l'essentiel des missions que nous entendons développer dans les prochains mois et années, avec votre soutien actif bien entendu.
J'en ai terminé pour la présentation de l'association que je préside au niveau régional.

Je vais maintenant commencer la table ronde et donner la parole à Mme Thoueybat Said Omar Hilali, ambassadrice de la République Islamique des Comores à l'Unesco, politologue (elle a poursuivi ses études à Paris) et spécialiste de l'histoire régionale.
Madame l'ambassadrice, faites-nous un peu rêver sur les Comores. Merci.


MME THOUEYBAT SAID OMAR HILALI- Monsieur le représentant du Conseil régional de Bourgogne, Monsieur le représentant du Conseil économique et social de Bourgogne, Mesdames et Messieurs, je suis honorée que vous m'ayez invitée à participer et à partager avec des esprits aussi éminents ces quelques moments de réflexion sur les moyens de lutte contre le paludisme aux Comores, ici, en Bourgogne. Cette terre nous a déjà, à une autre période de l'histoire, ouvert ses portes en accueillant la représentante des Comores, la reine Salima Machamba, devenue pour vous Mme Paule.
Je voudrais d'abord rendre hommage à la reine de Mohéli qui, en traversant les océans, a marqué l'histoire d'une île, l'histoire de l'archipel de l'océan Indien jusqu'à la Bourgogne.
Monsieur le représentant du Conseil régional de Bourgogne, Monsieur le représentant du Conseil économique et social de Bourgogne, Mesdames et Messieurs, permettez-moi de vous exprimer notre gratitude pour l'intérêt que vous portez sur le devenir de nos îles.
Il n'y a pas de hasard, les Comores ne sont indépendantes que depuis bientôt un quart de siècle et la présence française y a duré beaucoup plus longtemps. Des liens d'amitié et de coopération ont été tissés pour cet archipel dont la convoitise des puissances était grande car jouissant d'une position stratégique au coeur de l'océan Indien.
Les Comores ont d'abord été classées sous protectorat français avant d'être annexées en 1912 par la France. La loi du 9 mai 1946, abrogeant l'annexion du 25 juillet 1912, fit de l'archipel une entité autonome, administrative et financière, avant de l'ériger en territoire d'outre-mer. Statut qui a connu quelques ajustements structurels jusqu'à l'indépendance unilatérale du 6 juillet 1975.
En 1978, les relations entre nos deux Etats sont normalisées et, très vite, les Comores comme la trentaine d'Etats constituant les pays du champ bénéficient du fonds d'aide de coopération.
La France est le premier partenaire et bailleur de fonds aux Comores et sa coopération se décline dans plusieurs secteurs dont celui de l'éducation et de la santé mais il existe des accords de coopération économique, monétaire et financière, ou encore ceux de défense.
Cette coopération s'exprime également en terme régional au sein de la commission de l'océan Indien où la France, par le département de la Réunion, comme les Comores, ont adhéré en 1986, lesîles de cette sous-région demeurant au coeur de la zone de solidarité prioritaire.
Les Comores sont fragilisées par des rivalités nombreuses et leur situation est d'autant plus vulnérable que la diversité des tendances politiques est grande. Néanmoins, la diaspora comorienne, dont la plupart possède la double nationalité, est estimée à près d'une centaine de milliers. Elle participe énergiquement à l'économie comorienne afin que les défis (démographique, éducatif, social, écologique) permettent d'assurer des conditions de vie décentes, où l'instabilité chronique fera place à une situation de croissance, où régnera une atmosphère de conciliation et de concordance.
Mesdames et Messieurs, nous sommes ici réunis en Bourgogne, terre de gastronomie et d'architecture où, de Dijon, des grands ducs d'Occident régnaient dans le passé sur des terres qui s'étendaient de la mer du Nord au canton suisse, mais en préservant une même identité artistique.
La Bourgogne fut le berceau et la terre d'élection de l'art roman et ses vestiges en sont innombrables. Les Comores sont aussi de tradition ancienne et leur culture est riche, préservant notre identité culturelle.
A Alain Houdaille, je voudrais exprimer ma gratitude pour ses efforts dans cette organisation et plus particulièrement à Mme Anne Etter, la petite-fille de la reine de Mohéli, pour son sens du partage qui l'a orientée vers une croisade dans les enceintes des plus favorisés pour que celles-ci assument leur devoir de solidarité envers un peuple démuni, une nation qui se cherche et qui est aussi la sienne.
Permettez-moi, mes frères venus des îles de la Lune comme vous appelaient les Arabes, de vous rappeler le devoir de faire connaître notre culture et de l'enrichir chaque jour un peu plus. Notre intégration dans l'ensemble culturel français doit s'inscrire dans le respect du devoir civique et non seulement sur une liste de droits.
A l'aube du troisième millénaire et à la veille de l'année internationale de la paix et de la tolérance, force est deconstater que cette dernière n'avance pas autant qu'elle le devrait dans nos consciences et dans les faits.
Faisons de la tolérance notre arme contre l'indifférence et pour un dialogue constructif pour que la paix s'installe enfin. Faisons de la lutte contre le paludisme (fléau tuant chaque jour les êtres les plus innocents, nos enfants), en leur assurant des conditions de vie décentes et l'eau, que cette denrée rare ne soit plus un privilège réservé à quelques-uns mais un bien que nous avons en partage. Donnons-nous les moyens de l'acquérir.
Cette rencontre est surtout le fruit de l'enthousiasme et de la conviction, de la persévérance des organisateurs mais aussi de tous ceux qui croient, qui sont ici nombreux.
Je vous remercie de votre aimable attention. (Applaudissements).

M. ALAIN HOUDAILLE.- Merci Madame l'ambassadrice. Effectivement, nous avons un peu rêvé et avons envie d'aller voir votre pays.
Je passe la parole à M. le professeur Jean Mouchet, inspecteur général de recherche qui a circulé dans toute l'Afrique (Cameroun, ancienne Haute-Volta, Kenya, Congo-Brazzaville) et en Extrême-Orient. C'est dire que son expérience est très forte sur le thème évoqué aujourd'hui, le paludisme, la fièvre jaune et, de manière générale, toutes les maladies transmises par les insectes. Ceux-ci n'ont pas de frontière et si, aujourd'hui, nous parlons beaucoup des Comores, le paludisme, lui, n'en a pas non plus.

M. JEAN MOUCHET.- Merci Monsieur le président du Conseil économique et social. Madame l'ambassadrice, Madame Etter, mes chers collègues et chers auditeurs, c'est un grand plaisir pour moi de me trouver dans cette assemblée. C'est l'une des premières fois que j'ai l'honneur de venir en Bourgogne, mes pas m'ayant amené plus souvent à l'autre bout du monde que dans l'Hexagone.
Il serait tout à fait illusoire de vouloir parler de coopération internationale en oblitérant le domaine de la santé, pour lequel l'une des choses les plus importantes est le paludisme. Pourquoi ? Parce que cette maladie est à l'heure actuelle un risque pour un tiers de la population mondiale, soit environ 2 milliards d'habitants.
Nous considérons que le paludisme représente entre 150 et 300 millions de cas par an. Heureusement que tous n'en meurent pas. La barre a été placée à 1 million de morts par an par l'OMS. Je crois personnellement que c'est un peu exagéré mais, actuellement, ce chiffre de mortalité annuelle correspond à toutes les morts dues au Sida depuis le début de l'épidémie, en 1982,
Ce chiffre est similaire à celui de la mortalité enregistrée pendant les vingt-cinq dernières années pour l'ensemble des catastrophes naturelles (tremblements de terre, inondations, volcanismes, etc.). C'est dire qu'il ne s'agit pas d'un fléau mineur mais bien d'un fléau majeur de la planète.
Cette maladie est très inégalement répartie à travers le monde. Depuis longtemps, nous savons que les pays chauds sont les pays des fièvres (Afrique et Extrême-Orient).

Projection de transparents :
La carte du paludisme dans le monde épouse à peu près les limites des zones tropicales. Ce n'est pas le fait du hasard mais parce que ces zones contiennent des vecteurs, c'est-à-dire des insectes (anophèles) aptes à transmettre la maladie et que les conditions climatiques sont favorables à leur développement.
Dans cet ensemble, nous pouvons considérer que le continent le plus touché est l'Afrique, qui héberge 8 % de la population mondiale. C'est dans ce dernier que sont recensés plus de 80 % des cas de paludisme. Nous pouvons donc dire que le triste record lui appartient.
Pour comprendre cette inégalité du paludisme dans la surface du monde, il faut se référer au cycle de la maladie car celle-ci ne se produit qu'après un cycle compliqué. Ce n'est pas une question de contact. Il faut qu'entre une personne et une autre, il y ait passage à travers un moustique. Ce dernier pompe le sang d'une personne malade, les germes évoluent à travers lui et sont réinjectés à une personne saine. Entre les deux événements, il se passe de douze à trente jours. Cela dépend de la température extérieure et des espèces d'insectes plus ou moins capables de transmettre.
Je vous fais grâce de l'historique mais sachez que c'est un casse-tête pour les étudiants, car cette maladie est assez compliquée, avec au moins quatre cycles se diversifiant. Au cours du passage du parasite à travers le sang et le moustique, il a des formes diverses. Il ne se ressemble pas, bien que ce soit le même animal monocellulaire.
Pour qu'il y ait du paludisme à un endroit, il faut qu'il soit inoculé à une personne sur place. Cela dépend de la présence de moustiques que sont les anophèles.
Parmi 400 espèces différentes dans le monde, un peu moins de 30 anophèles sont aptes à transmettre le paludisme et sont localisés dans des biotopes précis (endroits aux conditions écologiques particulières et donnant un faciès particulier à la région).
Les facteurs résistant à la transmission sont :
Les facteurs biogéographiques : dans certaines régions du globe, quelques espèces d'anophèles vont être capables de transmettre, mais qui n'existent pas dans la région à côté. Les anophèles vivant en Asie du sud-est par exemple ne vivent pas en Afrique.
Les facteurs régionaux (climatiques) : durant des années très pluvieuses, des poussées de paludisme peuvent se traduire par des épidémies.
Les facteurs locaux : la présence d'eau salée crée des milieux spéciaux.
Les facteurs anthropiques créés par l'homme : le changement des paysages naturels (déforestation), l'irrigation créant de nouveaux apports d'eau, l'urbanisation changeant complètement le milieu ambiant.
Les facteurs événementiels: essentiellement les méthodes de lutte employées et les transports qui, avec leur développement au cours du siècle, permettent à toute zone du globe où il n'y en a plus de pouvoir recevoir des parasites. Ceux-ci se développent ou pas mais, partout, on peut en importer.
A Paris, où il n'y a pas d'anophèle vecteur, des anophèles ont été importés très probablement d'Afrique de l'ouest. C'est ainsi qu'il y a eu une dizaine de contaminations en peu de temps, dont deux morts. Cette année, il y en a encore eu quatre. Le problème devient maintenant mondial.
Plusieurs espèces de parasites sont responsables du paludisme, appartenant toutes au genre plasmodium et comportant quatre espèces:
Le plasmodium falciparum: cette espèce extrêmement dangereuse, tuant éventuellement, est répandue dans les zones tropicales.
Quand ce parasite est dans le sang, il se produit l'axephalustre.
Le plasmodium vivax: ce parasite, beaucoup moins dangereux, peut faire des rechutes mais ne tue pas. Sa particularité est qu'il n'est pas transmissible aux Africains, tous dépourvus de l'antigène Duffy.
Le plasmodium ovale et le plasmodium malariae jouent un rôle très secondaire et ne tuent pas.
La situation actuelle du paludisme est extrêmement contrastée suivant les pays. L'exemple frappant est celui du Viêt-nam et du Cameroun : au Viêt-nam, les pays étaient autrefois couverts de forêts plus ou moins détruites pour laisser place aux grandes plaines rizicoles (plaine du Mékong, plaine du fleuve rouge).
Les anophèles transmettant le paludisme vivent uniquement dans les régions de forêts, dans les eaux courantes ou les eaux calmes. Comme il n'y en a pas dans les régions de plaines, les touristes visitant le delta du fleuve rouge (Haiphong, baie d'Along) ne courent aucun risque.
En revanche, quand on se rend dans les plateaux, il y en a beaucoup moins mais ils sont très dangereux et le paludisme est extrêmement grave. Ce qui est curieux, c'est que ces plateaux sont habités par des minorités vivant depuis très longtemps, qui ont acquis une immunité au paludisme. Alors que les plaines sont habitées par les minorités, notamment les Vietnamiens (Mins), envahisseurs résistant très mal au paludisme.
Nous sommes en train d'essayer de trouver quelles sont les relations entre les peuples, l'occupation des terrains et le paludisme.
En Afrique continentale, il n'y a pas cette coupure partout. Au Cameroun par exemple, vous trouvez partout des vecteurs et êtes partout soumis au paludisme. Il n'y a donc pas de zones saines. Dans n'importe quel village, vous êtes à peu près sûr d'avoir un minimum de trois piqûres infectantes par semaine et d'être ainsi contaminé. Il y a donc une très grande différence.
Au Viêt-nam: vous risquez d'être contaminé une fois par mois, voire tous les deux mois. Et encore, dans certaines régions.
En Afrique Centrale: trois fois par semaine, et dans la région de Brazzaville (l'une des régions au plus fort taux de transmission du monde), vous courrez ce risque trois fois par nuit.
Au bord du Sahara : une piqûre tous les mois pendant la saison des pluies. Il y a même souvent des années entières sans transmission.
En revanche, au fur et à mesure que vous descendez vers l'Équateur, que les pluies tombent fréquemment, il y a de plus en plus de possibilités pour les moustiques de se développer dans les mares et ainsi d'augmenter la transmission.
Quand on parle d'une région, il faut absolument la situer dans son contexte écologique. Plus de pluie plus de paludisme. Plus de sécheresse: moins de paludisme.
Exemple en Afrique, probablement l'un des plus beaux exemples mondiaux: à partir de 1973, une très grande sécheresse a sévi dans le Sahel. Les mares se sont asséchées notamment dans toute la région. Tous les creux de sol où l'eau s'accumulait pendant la saison des pluies se sont trouvés à sec mais les gens ont quand même utilisé le fond des mares pour cultiver, détruisant ainsi la végétation y poussant. Les moustiques qui y vivaient auparavant ont disparu parce qu'ils n'ont pas retrouvé un milieu pour se développer
Depuis cette date, il y a eu une espèce de vecteur, l'une des plus importantes, sinon la plus importante, l'anophèle finestus. Ce moustique ayant disparu, dans la région du nord Sénégal ou du Niger, le nombre de cas de paludisme a diminué de 80 %. Grâce à la sécheresse qui a changé les conditions écologiques.
Il a plu après, mais comme il n'y avait pas d'herbe dans les collections d'eau, le moustique ne s'est pas développé et nous sommes restés à une position de statu quo. Il faut toutefois savoir que c'est extrêmement variable et que d'ici quelques années, cela peut complètement changer.
Vous avez entendu parler du réchauffement de la planète. Nous sommes très inquiets quant aux conséquences que ce dernier aura sur le paludisme.
Sur le plateau de l'Ouganda (entre 1 500 et 1 800 mètres d'altitude), toutes les vallées étaient couvertes de papyrus, dont la propriété est de sécréter une huile essentielle qui, tombant dans les mares, tuait les moustiques. Or, quand ces vallées ont été mises en valeur avec la montée démographique, les papyrus ont été supprimés. Le paludisme s'est ainsi développé et, en 1994, une épidémie a probablement tué plus de 100 000 personnes.
Quand je dis que le paludisme est un phénomène d'environnement, c'est la vérité. Il s'agit d'une endémie en mutation permanente parce que le climat et l'environnement mutent.
On a essayé de faire de la lutte jusqu'en 1940 en séchant les marais pontins sans beaucoup de succès. A partir de 1943 est apparu le DDT avec lequel les maisons ont été traitées. La diminution du paludisme a été spectaculaire. Il a disparu complètement en Europe. Derniers cas: 1976 en Macédoine, 1979 en URSS. Depuis, il est revenu dans les Etats de l'ex-URSS, notamment à Azerbaïdjan et au Tadjikistan.
Cette période pendant laquelle on a envisagé l'éradication du paludisme a été formidable. Nous savons que l'éradication n'a pas réussi et qu'il est toujours agréable de tirer sur le pianiste mais le paludisme a diminué de plus de 90 % dans le monde à cette époque.
Malheureusement, des événements sont intervenus (coût, lassitude et autres), faisant que, peu à peu, on a laissé tomber les mesures de lutte. De plus, l'OMS avait changé de politique et opté pour celle des soins de santé primaire. La lutte anti-paludique (généralement dans les structures verticales) n'était pas compatible avec les conceptions récentes de cette organisation qui ne voyait que les structures horizontales.
Depuis, la remontée du paludisme a été plus ou moins spectaculaire. Je ne parle pas de l'Afrique Centrale - où la campagne n'avait pas commencé dans la plupart des pays - mais en Afrique du Sud et au Zimbabwe où l'on était presque parvenu à l'éradication.
Nous sommes maintenant dans une période d'expectative, ne sachant pas très bien où aller. Le DDT a été interdit, ce qui, au point de vue santé publique, est tout à fait dommageable car il semble qu'en badigeonner-les murs des maisons n'ait aucune incidence écologique. C'est un faux problème, qui risque de coûter la vie à de nombreuses personnes parce que si l'on arrête les pulvérisations et qu'on les reprend, il y a une remontée.
Quelques-uns ont vécu l'épidémie de Madagascar de 1986 où il y a eu 1 00 000 morts par an, probablement autant en Ouganda. Et je n'ose pas compter les morts en Ethiopie! A Ceylan, Il y a cinq millions de cas de paludisme, mais c'était du plasmodium vivax qui ne tue pas.
Cette situation est incertaine et je crois qu'actuellement, il faut intervenir.
Il faut taper au coup par coup pour faire ce que nous pouvons parce qu'au point de vue technique, stratégique et politique, l'époque ne se prête pas à vouloir entreprendre des opérations planétaires.
Nous avons essayé de développer dans l'île de Mohéli - Madame Etter étant d'accord avec nous - le système des moustiquaires imprégnées. Ce n'est pas parfait mais c'est quand même un plus. Quand elles sont bien appliquées, comme au Vanuatu, nous pouvons espérer une baisse de 80 % du taux du paludisme.
C'est sur ces bases que nous avons proposé une stratégie de lutte, adoptée et soutenue par vos organisations, en nous basant sur les moustiquaires imprégnées comme premier élément. Ce qui n'empêchera pas, lorsqu'il y aura plus d'argent, d'envisager des luttes par pulvérisations intra-domiciliaires avec des pyrethrenoïdes qui devraient permettre, dans de telles îles, d'obtenir un résultat extrêmement confortable.
Mesdames et Messieurs, je vous remercie. (Applaudissements).

M. ALAIN HOUDAILLE.- Cet exposé très riche doit, j'imagine, susciter quelques questions dans la salle.

M. JEAN-MARC ZAMBOT'RO, Association BOFA intervenant au Burkina Faso dans la zone sahélienne.- On a parlé de vaccin contre le paludisme. Où en est-on ?

M. JEAN MOUCHET.- Si beaucoup parlent de ce vaccin, pour l'instant il n'existe pas. Vous dire s'il y en aura un ou pas, je l'ignore et personne ne peut répondre honnêtement à cette question.

Même intervenant.- A une époque, on parlait d'un médecin colombien qui avait trouvé...

M. JEAN MOUCHET.- C'est de la frime!

M. AMEDE RANDRIANANTF:NAINA, urologue à Dijon,- Pouvez-vous nous expliquer comment la France ou les Dom-Tom ont fait pour éradiquer le paludisme dans l'île de la Réunion ?

M. JEAN MOUCHET.- La situation aux Comores n'est pas la même qu'à la Réunion. Les Comores avaient du paludisme depuis beaucoup plus longtemps (probablement depuis les premières occupations par l'homme) alors que ce dernier n'a été importé à la Réunion qu'en 1867.
Les méthodes utilisées, qui coûtent fort cher, ont maintenu un paludisme mais des changements profonds se sont produits chez le vecteur en même temps et l'écologie a changé. La Réunion a été départementalisée et l'habitat s'est transformé.
Je ne suis pas sûr que les moustiques peuvent encore transmettre dans cette île. Lorsqu'un moustique est dans une maison, il y reste, prospère et vit longtemps. Or, quand on l'oblige à sortir, se trouvant exposé aux intempéries, sa durée de vie est plus courte. Il a ainsi moins de chances de transmettre le paludisme puisqu'il faut compter entre douze et vingt jours minimum entre le moment où ce dernier est infecté et où il infecte. Si vous raccourcissez cette durée au-dessous de douze jours, il n'y a plus de transmission.
A la Réunion, il me semble que le fait d'avoir raccourci la longévité du moustique grâce à l'amélioration de l'habitat y joue pour beaucoup.

Même intervenant.- Il est donc possible d'éradiquer le paludisme, quel que soit son coût bien entendu ?

M. JEAN MOUCHET.- La seule chose que l'on peut éradiquer, c'est le nom éradication " parce que l'on n'éradique plus rien du tout. Le terme " éradiquer " signifie " enlever les racines A partir du moment où sera introduit un moustique dans l'île et un individu dans un autre pays, il y aura une possibilité de transmission. Donc pas d'éradication.
Vous pouvez parler d'une élimination d'une région. Ce n'est pas définitif mais temporaire et cela demande une surveillance continuelle. A la différence de l'éradication qui doit être quelque chose de définitif. Or, jusqu'à maintenant, peu de choses sont définitives.

Même intervenant.- L'application des mesures adoptées dans les Dom-Tom serait tout à fait concevable pour éradiquer le paludisme.

M. JEAN MOUCHET.- Mais les conditions ne sont pas les mêmes dans toutes les Dom-Tom. A la Réunion, ce n'est pas comme à Mayotte ou en Guyane (situation continentale).
Je vous dis depuis le début que ce qui caractérise le paludisme, c'est sa très grande diversité. Justement, le fait de ne pas s'en être aperçu pendant très longtemps a un peu démoli le programme d'éradication.
Il faut éviter les généralisations, il n'y en a pas. Chaque cas est particulier.

M. ALAIN HOUDAILLE.- Merci de cet exposé et des questions posées. Je vais passer la parole à M. Jean Julvez, médecin général de la santé publique, conseiller pour la recherche médicale au ministère des Affaires étrangères et spécialiste des maladies tropicales. Ce monsieur a lui aussi une grande expérience pour avoir passé dix-huit ans de sa vie professionnelle dans les îles de l'océan Indien.
Merci Monsieur Julvez d'avoir pu vous arrêter en Bourgogne, malgré vos déplacements permanents.

M. JEAN JULVEZ.- Merci Monsieur le président. Madame l'ambassadrice, Madame Etter, Mesdames et Messieurs, je vais évoquer avec vous l'histoire du paludisme insulaire dans l'océan Indien, sans parler du continent africain.
(Projection de diapositives)
Diapositive : L'histoire commence avec l'histoire géologique de toutes ces îles, qui est certainement l'une des plus importantes. Dans cette partie sud ouest de l'océan Indien, la particularité est que la grande île de Madagascar s'est séparée de l'Afrique voici cent millions d'années. En emportant probablement que quelques pousses de mousse et aussi le crocodile du Nil que l'on retrouve à Madagascar, mais certainement pas en emportant le paludisme puisque l'homme n'existait pas alors.
Ce petit bout de terre a évolué un peu tout seul. Aucune île n'existait, à part quelques îles Seychelles qui étaient également des morceaux datant de l'ère primaire.
Le volcanisme du tertiaire a créé l'archipel des Comores (au moins pour sa majeure partie (les îles Anjouan, Mohéli, Mayotte), la partie nord de la Grande Comore (Maurice, Rodrigues) et la partie nord de la Réunion.
A la fin du quaternaire, le nouveau volcanisme a créé les zones qui, actuellement, sont toujours de volcanisme actif: le Khartala en Grande Comore et la partie sud de la Réunion.
Toujours à cette époque, où l'homme n'est pas encore réellement apparu, il ne peut rien se passer dans ces îles désertes, qui seront colonisées peu à peu par les oiseaux. En définitive, tout devra y être apporté et, comme chaque fois que l'on parle d'une maladie humaine, généralement ce ne peut l'être que par l'homme. Aussi allons-nous essayer de suivre l'histoire épidémiologique de ce paludisme et de donner une interprétation -épidémiologique de cette histoire.
Diapositive: Les premiers habitants datent probablement du début de la période historique. Il est à peu près certain qu'il y a eu un passage d'Africains du continent vers Madagascar, peut-être aussi vers les îles Comores mais les fouilles faites dans ces îles n'en apportent pas la preuve.Vous savez également que l'arrivée des premiers Indonésiens se situe très probablement au début de notre ère.
Quel paludisme pouvaient-ils transporter ?
En Indonésie, il existe le plasmodium vivax dont vous avez entendu parler. En outre, le voyage durait plusieurs mois et l'anophèle vecteur du paludisme était un moustique sauvage très fragile ne pouvant être transporté sur une aussi longue période.
En revanche, il est probable que le moustique a été transporté avec des Africains et des parasites d'Afrique et que, dès le début de la période historique, le paludisme s'est installé sur la côte de Madagascar et peut-être aux îles Comores.
Diapositive : Il y a peu de changement, les mêmes immigrations se poursuivent. Sauf qu'il existe une augmentation de la population et donc probablement une augmentation de l'endémie palustre, ne serait-ce que parce qu'il y a davantage de villages, donc plus de possibilités pour le vecteur de se démultiplier et de transmettre la maladie.
Diapositive: Le début de l'islamisation de la région vient de l'Hadramaout d'abord puis d'une petite immigration chirazienne, plutôt vers le Xlle siècle.
Là aussi, quel paludisme sévissait là-bas ? Ce n'est toujours pas le falciparum, le paludisme qui meurt. Ce ne sont toujours pas les moustiques africains, il est très probable qu'ils n'ont pu être transportés, ces voyages étant longs, même s'ils étaient côtiers.
Nous restons sur un modèle où le parasite est africain. Le vecteur est toujours africain et le paludisme sévit à Madagascar et dans les îles Comores.

Diapositive : L'immigration chirazienne était davantage centrée sur les Comores qu'elle n'apparaissait sur la diapositive précédente. Peu de différence au niveau du paludisme. Il n'existe pas de cette époque de chroniques écrites permettant d'évoquer ce qui s'y passait en termes de maladies ou de fièvres. Les écrits de Marco Polo parlent des éléphants de Madagascar, ce qui laisse un peu rêveur. Il n'a vraisemblablement pas dû y aller !
Diapositive: C'est la fin de la période des migrations.
Nouveautés : La traite des esclaves qui, essentiellement dans les îles Mascareignes (la Réunion, Maurice, Rodrigues), a disséminé des populations venant de la côte africaine vers cet autre archipel, dont les populations impaludées, des populations malgaches également impaludées.
Les importations du XIXE siècle: une immigration indienne très importante mais qui, elle non plus, ne pouvait apporter ni le falciparum qui n'existait pas ni les anophèles qui ne pouvaient survivre au long de ce voyage.
Vous savez que l'on a beaucoup reproché à l'immigration indienne d'être à l'origine du paludisme à Maurice. C'est faux, pour des raisons très précises : le paludisme et le vecteur étaient africains.
Diapositive: En 1404, " Diego Diaz " est le premier de l'escadre portugaise à toucher Madagascar dans le canal du Mozambique. Nous ignorons où il mouille exactement mais son équipage est très rapidement décimé par le paludisme et il préfère quitter Madagascar.
Diapositive: En 1600, Foch installe le premier comptoir sur la côte Est de Madagascar et lui aussi décrit des problèmes très importants de mortalité pour tous ceux qui s'y installent. Seuls ceux se rendant sur les hauteurs cueillir des baies pour se nourrir ont échappé à la fièvre qui tuait pratiquement la moitié des personnes ayant débarqué.
Dans tous les écrits, il est certain que Madagascar était un pays fabuleux pour le paludisme et qu'il s'est opposé, grâce à cela, à la colonisation. En revanche, dans le même temps, ces mêmes marins ventaient les douceurs des îles Maurice et de la Réunion où ils devaient aller se reposer.

Diapositive: Situation de Madagascar telle qu'elle est connue: il existe un paludisme transmis sur la côte mais il est très probable que ce dernier n'existait pas sur le plateau.

Diapositive : Les relations de l'époque montrent que les populations d'origine austronésienne habitant sur les plateaux sont aussi sujettes que les Européens aux fièvres lorsqu'elles descendent sur la côte. Ce qui signifie qu'il n'existait pas d'immunité pour les populations vivant sur les plateaux parce qu'il n'existait pas de paludisme.
En matière de paludisme, il existe ce que l'on appelle une " prémunition " faisant qu'au-delà d'un certain âge (vers 3 ou 4 ans), on acquiert une certaine résistance. Dans les pays de forte transmission, les jeunes enfants risquent d'en mourir, particulièrement dans les zones où le paludisme est transmis toute l'année comme cette région de l'océan Indien.
Voilà à peu près la situation à Madagascar. Aux Comores, elle est bien moins connue.

Diapositive : Par les récits de voyages, nous savons que le paludisme sévit en Anjouan, à Mayotte. On parle moins de Mohéli car les bateaux y vont peu. Ceux-ci, venant d'Europe, ont fait un trajet de quatre à six mois, l'équipage est mort du scorbut et leur problème est de se ravitailler en eau potable, en fruits, etc.. Ils touchent donc plutôt les grandes îles, et surtout Anjouan, qu'ils décrivent comme une région où il n'y a pas de paludisme et certaines zones,un peu plus humides, où il y en a.
Quant à la Grande Comore. personne n'en parle.
Diapositive: M. Séblin, chirurgien majeur à Mayotte, a décrit le fait que les gens de la Grande Comore étaient beaucoup plus sensibles au paludisme que les Malgaches, les Maorés, ceux d'Anjouan et de Mohéli. Ce qui, pour les mêmes raisons que tout à l'heure vis-à-vis des Malgaches des plateaux, signifie que les gens de la Grande Comore étaient sensibles au paludisme parce qu'ils n'avaient pas d'immunité, la transmission du paludisme n'existant pas en Grande Comore.
Situation du paludisme fin XVIE-XVI le siècle: il est transmis sur toute la côte de Madagascar de façon permanente, en s'opposant à la pénétration de populations n'y résistant pas. Il n'est pas transmis sur les plateaux de Madagascar, mais dans trois des îles des Comores, sauf en Grande Comore.
Diapositive : Les gens s'installent et, en 1865, le paludisme éclate à l'île Maurice. Celle-ci, très éloignée des îles dont nous venons de parler, se situe à quelque 1 000 kilomètres de la côte est de Madagascar, donc loin dans l'océan. C'est l'une des raisons pour laquelle on a pensé que le paludisme venait d'Inde plutôt que d'Afrique.
Vous voyez la progression d'épidémies de paludisme, qui a commencé à Port-Louis, où les bateaux mouillaient. Il est probable que c'est à partir d'un bateau que les premiers anophèles ont débarqué en 1965 et qu'ils se sont multipliés dans la zone de saison des pluies, zone de saison sèche.
Il y a diminution de la transmission pendant la saison sèche parce que le moustique n'arrive pas à se multiplier et à la saison des pluies suivante, extension de l'épidémie.
En 1865, on ne connaît pas le parasite, on ignore donc s'il est africain. C'est la grande surprise pour tout le monde, la panique est assez générale. Les habitants fuient la côte et essayent d'habiter dans le district des plaines de Wilhems, qui culmine à 500 mètres. Altitude extrêmement importante car il s'agit d'une cassure écologique sur le plan de la température et, au-dessus de cette altitude, les conditions climatiques sont moins favorables à la multiplication du vecteur.
Le paludisme a continué à sévir pratiquement jusqu'à la découverte du DDT, en 1943. Les campagnes dites d'éradication commencent en 1949, date à laquelle elles débutent à la Réunion et à Maurice. Entre 1865 et 1949, l'île Maurice était dans la même situation qu'est actuellement l'Afrique sur sa côte : une mortalité infantile extrêmement élevée, au point que nous pouvons dire que tout enfant qui atteint l'âge de 3 ans est un survivant du paludisme.
Tout à l'heure il a été dit que l'éradication a été reconnue quelques années après à l'île Maurice. Mais, epuis, il y a eu reprise du paludisme. Actuellement, ce dernier est transmis sur la côte est de l'île Maurice, là où il n'y a ni hôtels ni touristes.
L'éradication à Maurice, ce n'est pas vrai. Elle a eu lieu une fois mais il y a eu réimplantation d'un utre parasite et reprise de la transmission du paludisme. Les activités de lutte anti-paludique n'ont ratiquement jamais cessé depuis 1979. Ceci, pour une bonne raison : les plaines littorales, relativement mportantes, donnent de nombreuses zones dans lesquelles le vecteur peut gîter. Il existe des zones de ulture extensive de canne à sucre d'un accès extrêmement difficile parce qu'elles sont clôturées (zones ans touristes), dans lesquelles se sont réimplantés des foyers de paludisme, mais le plasmodium vivax. Ce ernier ne touche pas les populations d'origine africaine mais celles d'origine indienne et, surtout, n'entraîne as la mort.
Dans toute la partie touristique, le nord (Grand-Baie) et la côte ouest (Mahébourg), il n'y a pas 'éradication du paludisme. Il existe des anophèles mais ils ne transmettent pas le paludisme pour les isons indiquées par Jean Mouchet: changement de l'habitat et de la façon de vivre des habitants.
La reprise a eu lieu après le boum de la canne à sucre à l'île Maurice. Les gens avaient alors mplacé leurs maisons en torchis ou en bois par des maisons en béton, avec des toits plats mal drainés. est sur ces toits que les anophèles sont venus se réinstaller et se multiplier.
L'un des points que l'on ne comprenait pas lors de la reprise du paludisme, c'est qu'il y avait un aludisme de l'adulte mâle et de l'adolescent, ces derniers restant à discuter longtemps le soir alors que les mmes et les enfants étaient couchés.
Depuis, les toits ayant été rectifiés à l'île Maurice, on a supprimé ce problème. Mais cette situation 'équilibre, entre un vecteur susceptible de se développer auquel on oppose des circonstances de éveloppement socio-économiques qui ont changé... L'île Maurice n'étant plus l'île de 1865, il ne peut donc as y avoir la même épidémie.
Diapositive : En 1869, à la Réunion, chose curieuse, l'épidémie éclate dans la zone bleue qui n'est pas a zone où mouillaient les navires. En fait, cette zone est aux vents de Maurice et les gens de l'époque ont écrit la coexistence d'un cyclone et l'arrivée du paludisme. Je vous signale qu'il y a 200 milles marins, soit 80 kilomètres entre les deux îles.
Il nous a paru possible, dans le cadre de la Réunion, qu'il y ait eu un transport par les vents. Ce qui est quand même assez curieux.
A l'île Maurice et à la Réunion, l'on s'est demandé pourquoi 1865 et 1869 et non pas dix ans avant. Seule corrélation : vers 1864-1865 sont apparues les messageries impériales, bateaux à vapeur faisant le trajet Madagascar-Réunion-Maurice en quatre jours au lieu de quatre mois, qui pouvaient ainsi transporter des anophèles vecteurs, faire qu'ils puissent débarquer et s'installer On n'a pas trouvé d'autre raison. Jean Mouchet et moi avons émis l'hypothèse - et personne ne nous a contredits - que les bateaux à vapeur avaient peut-être permis de faire que la biologie très stricte de ce moustique fasse qu'il puisse exister dans ces îles.
Les messageries impériales n'ont jamais été à l'île Rodrigues, où il n'y a toujours pas de paludisme. Alors que ces îles sont pratiquement identiques, avec le même paysage, les mêmes gîtes potentiels de reproduction, la même population et, à l'île Rodrigues, les mêmes gens avec les mêmes parasites puisqu'ils viennent aussi de Madagascar.
A la Réunion, zone touchée par l'épidémie, un certain nombre de saisons des pluies se sont succédé. Chaque fois a eu lieu un arrêt ou une diminution pendant la saison sèche puis une reprise. Elle est plus étroite car le paysage est très différent de l'île Maurice. Une altitude de 500 mètres est très rapidement atteinte et la Réunion culmine à 3 000 mètres.
Les plaines littorales les plus basses sont celles où le paludisme a débuté dans le nord est de l'île mais pas ailleurs, où il n'y a pas de plaines littorales. C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles il n'y a pas eu dans cette île de reprise comme à Maurice. Mais c'est aussi une hypothèse.
Diapositive: A la Réunion, personne à l'époque ne comprenait pourquoi était arrivé ce fléau. La quinine existait alors mais on ne savait pas l'employer, on n'avait pas découvert sa bonne formulation. La fièvre bilieuse hémoglobinurique est une complication non pas du paludisme mais d'un usage intempestif de la quinine dont un surdosage tuait les patients.
Diapositive: Pourquoi la Grande Comore allait-elle échapper au paludisme ? C'était toujours la seule, en 1969, à ne pas en avoir. Nous sommes en 1924, après le boum de la vanille. L'un des problèmes de la Grande Comore est que cette île, la plus récente sur le plan géologique, est strictement imperméable, faisant que toute l'eau de pluie coule et va vers la mer. Il n'existe aucune rivière pérenne et aucun endroit où un moustique pourrait pondre.
Le boum de la vanille a permis à la population de construire des réserves d'eau familiales, auxquelles le moustique s'est adapté. L'épidémie a ainsi débuté en 1924 dans le nord de la Grande Comore pour reprendre l'année suivante.
C'est l'un des rares coins du monde où l'on peut voir un état d'adaptation d'un vecteur à ce que nous appelons un vide fabriqué par l'homme. Il était prévu que ces citernes soient couvertes, elles l'ont été au début seulement.
J'ai trouvé le vecteur des anophèles dans des petites réserves d'eau utilisées pour se laver, qui servaient également de gîtes de ponte. Mais il est certain que l'un des problèmes de la Grande Comore reste le fait que l'on a organisé la multiplication du vecteur.
Tout cela pour dire que l'homme est responsable de cette arrivée du paludisme. Il a été responsable de la survie des épidémies, du retour du paludisme et il pourrait être responsable d'une diminution, sinon d'une élimination du paludisme qui, je pense, est possible.
Cette élimination a été réussie d'abord sur les plateaux de Madagascar. La reprise - qui a eu lieu parce que le temps a fait son oeuvre, que l'on avait oublié qu'il fallait continuer tout le temps et que cela coûte très cher - s'est soldée par un nombre de morts extrêmement important.
Dix années de lutte à Mayotte avaient permis d'interrompre la transmission. Le paludisme a repris, pas par la faute des îles voisines mais parce que l'on s'est lassé ou que l'on ne pouvait plus poursuivre ces mesures de lutte.
Jean Mouchet évoquait la solution technique retenue pour Mohéli : dans ces îles, on pulvérisait les murs tous les trois mois mais cela aurait pu n'être que tous les six mois en utilisant le DDT. On dérangeait alors beaucoup les gens qui devaient sortir les meubles, etc.. S'ils l'acceptaient voici dix ans, ce n'est plus le cas.
Les conditions de lutte ne sont pas les mêmes et il faut adapter d'autres moyens de lutte à la façon qu'ont les gens de vivre et de percevoir le problème.
Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements).

M. ALAIN HOUDAILLE.- Merci des résultats de l'étude épidémiologique que vous avez menée. Après dix-huit ans passés dans ces pays, avez-vous été piqué par l'anophèle ?

M. JEAN JULVEZ.- Très certainement, mais j'en ai tué plus que ceux qui m'ont piqué.

M. ALAIN HOUDAILLE.- Et vous Monsieur ?

M. JEAN MOUCHET.- Des milliers, pour ne pas dire des millions de fois.

M. ALAIN HOUDAILLE.- On dit que l'insecte s'accoutume aux traitements. Est-ce vrai ?

M. JEAN MOUCHET.- Il ne s'accoutume pas mais l'on arrive, dans certaines populations d'insectes, à sélectionner des souches où il y a des mutations dans les phénomènes de détoxication ou d'absorption.
Par exemple, le DDT ne pénètre plus sur les sites d'action, les terminaisons nerveuses, la gaine nerveuse étant trop épaisse. A partir du moment où l'on a sélectionné ces mutants, ils sont parfaitement résistants, se portent comme un pont neuf et il faut prendre d'autres mesures pour les détruire.
S'accoutumer n'est pas le mot exact parce que ceux qui étaient en face sont morts mais il y a les nouvelles populations. C'est pareil pour la résistance aux médicaments.

UN PARTICIPANT.- J'étais en côte d'Ivoire récemment, vos études sont faites sur la résistance des moustiques au pyréthrenoïde (insecticide utilisé pour les moustiquaires imprégnées). Effectivement, on s'aperçoit que les moustiques deviennent un peu résistants aux moustiquaires. Mais, heureusement, l'étude a montré que les moustiques résistants restaient plus longtemps et, en définitive, que le résultat était le même sur la mort du moustique.

M. Luc NOIROT, membre de l'association AB2C représentant la Fédération des jeunes chambres économiques.- Lorsqu'une personne est contaminée par le paludisme, quels sont les symptômes de la maladie ? Lorsque l'on sait en être atteint, y a-t-il des parades ou un traitement permettant d'en guérir ?

M. JEAN MOUCHET.- Il existe plusieurs types de paludisme mais n'importe quoi peut être un paludisme et il est vraiment idiot d'en mourir.
Au cours des vingt-cinq ans que j'ai passés Outre-mer, où je suis loin d'avoir pris une prophylaxie, je disais constamment à mes correspondants: " Ne prenez rien mais dès que vous aurez de la fièvre, traitez vous. " A la fin, j'ai fait comme eux, contrairement aux conseils donnés aux touristes Prenez 1 00 milligrammes tous les jours de chloroquine. "
Dans une zone endémie palustre, en règle générale toute fièvre est une suspicion de paludisme. On fait une lame - en prenant la moitié de la dose - que l'on lit le lendemain matin. On termine la dose si la lame est positive ou l'on cherche autre chose si elle ne l'est pas.
La fièvre est le signe majeur mais j'ai remarqué que les Réunionnais exprimaient la fièvre en disant: J'ai mai à la tête ", alors qu'ils avaient 40. L'expression " J'ai de la fièvre " est culturelle. On décrit des phases de frissons, je veux bien mais le problème ne se pose pas ainsi. Si vous avez pris le risque d'attraper le paludisme, vous ne devez pas prendre celui d'en mourir et devez y penser.
Des touristes revenant d'Afrique meurent malheureusement dans les hôpitaux français où l'on ne pense pas au paludisme. Quand ils arrivent dans un coma fébrile, on fait à peu près tout sauf une lame. Le délai de traitement est de 72 heures et, tous les ans, des cas décèdent.
Le paludisme est une maladie dont on ne devrait plus mourir. Personnellement, je n'ai vraiment aucun problème pour repartir sur le terrain ou, comme Jean, repartir aux heures où nous allons être piqués (entre 22 heures et 2 heures du matin). Mais il est évident que s'il se passe quoi que ce soit, nous penserons au paludisme.
L'immunité, c'est un peu des marches d'escalier: on en ajoute une. Les signes cliniques, alors que vous n'êtes qu'à la première marche, seront une fièvre magnifique, des frissons... Mais lorsque vous êtes à la marche du milieu, il n'y en aura plus que la moitié. C'est alors que cela deviendra difficile. Le problème est de savoir s'il y a eu ou non le risque de pris. Après, on peut traiter, on a encore de quoi traiter.

M. JEAN MOUCHET.- Le paludisme, traité relativement rapidement, est une des maladies les plus faciles à soigner, qui se guérit le mieux et ne laisse aucune suite. Les gens paludéens pour le restant de leurs jours, c'est un mythe.

M. PHILIPPE MAUPELIT, journaliste.- Quel est, aux Comores, le taux de mortalité dû au 'paludisme S'agit-il d'un problème de santé publique ?

M. AHMED OULEDI.- Les systèmes d'information sanitaire en Afrique sont souvent défaillants mais, selon les données que nous avons des hôpitaux centraux, nous pensons que le paludisme est la première pathologie aux Comores et qu'elle représente 30 à 40 % des admissions dans un certain nombre de centres de santé.
Dans les services de pédiatrie, le taux de mortalité se situe entre 10 et 15 % pour les enfants de 2 à 5 ans. Cela montre que le paludisme est un des problèmes de santé publique majeurs aux Comores. C'est d'ailleurs l'intérêt que portent de nombreuses associations et de Comoriens se trouvant à l'extérieur car, souvent, quand les gens reviennent en vacances se pose ce problème.
Des analyses ont pourtant été faites à travers l'intervention d'associations, dont l'Association des Mohéliens de France. Nous avons des résultats que nous exposerons à la fin de cette discussion.

M. AHMADI, enseignant d'histoire à Mayotte.- Monsieur Julvez s'est rendu à Mayotte, il était directeur de la DDASS dans les années 80. J'ai pu constater qu'aujourd'hui la distribution de la nivaquine n'est pas autorisée à Mayotte sans prescription. S'agit-il d'une bonne méthode pour lutter contre ces pathologies ?

M. JEAN JULVEZ.- A mon époque, il fallait prescrire aussi, mais peut-être que l'on prescrivait plus facilement. La loi française s'applique actuellement à Mayotte et la prescription d'un médicament se fait par un canal donné.
On entretenait alors - et je pense que cela existe toujours - des pharmacies dans les écoles. La chloroquine était à la disposition des instituteurs.
N'étant pas allé à Mayotte depuis dix ans, j'ai du mal à vous répondre précisément.

M. AHMADI.- Les pharmacies dans les écoles n'existant plus, l'hôpital de Mamoutzou étant saturé, il n'existe que deux petites pharmacies...

M. JEAN JULVEZ.- Non Monsieur, à Mayotte il existe dix-huit secteurs, quarante dispensaires et au moins quarante pharmacies.

M. AHMADI.- Je ne parlais pas des dispensaires mais des pharmacies car il y a aujourd'hui une restructuration des dispensaires pour en faire des dispensaires de secteur pour des problèmes de budget. Alors que, parallèlement, le paludisme est en recrudescence.
Comment peut-on concilier l'évolution de la maladie et la restriction budgétaire ?

M. JEAN JULVEZ- Lorsque j'ai quitté Mayotte, il existait dix secteurs (zones de 10 000 habitants), un médecin pour 10 000 habitants plus un réseau de dispensaires, dont chacun avait sa pharmacie. Actuellement, dix-huit secteurs couvrent Mayotte. Chaque commune a pratiquement son médecin. Le taux de couverture est devenu extrêmement important.
Que cela fonctionne différemment, que les gens soient satisfaits ou pas, tout dépend aussi de leurs exigences. J'ai connu une époque où ils étaient peu exigeants, peut-être le sont-ils devenus.

M. BERNARD VERSET.- Quand on entend Monsieur Mouchet, on a l'impression que le paludisme est une maladie presque bénigne qui se soigne très bien.
Est-ce d'abord un problème politique, un problème de laboratoires pharmaceutiques ne s'engageant pas suffisamment ? Que fait l'OMS pour soigner une maladie qui, somme toute, se soigne relativement bien si je vous écoute ?

M. ALAIN HOUDAILLE.- Pierre Guillet va répondre.

M. PIERRE GUILLER.- Je propose de passer à l'exposé suivant puisque j'essayerai de répondre en partie à cette question.

UN PARTICIPANT de l'association Développement du Cambodge à Mâcon.- Aux Comores, quelle forme de plasmodium falciparum peut tuer de nombreux malades ?
Au Cambodge par exemple, ce dernier atteint la forme cérébrale et après une semaine d'état fébrile, le patient tombe dans un état comateux. C'est la forme la plus grave qui tue beaucoup de patients.
Le plasmodium vivax ne peut pas tuer mais,après la rechute, peut-il guérir spontanément où soudainement ?

M. ALAIN HOUDAILLE.- Nous poursuivons cette table ronde avec Pierre Guillet, expert à l'OMS, spécialiste de la lutte anti-paludique. Lui aussi a passé quinze ans en Afrique.

M. PIERRE GUILLET.- La situation est à la fois simple et complexe: le paludisme a un poids mondial en termes socio-économiques et de développement extrêmement fort.
Ces chiffres diffèrent très légèrement de ceux dont vous a parlé le professeur Mouchet parce qu'ils ne sont pas très fiables. Tout le monde s'accorde à le dire.
Le paludisme est une maladie dont le poids socio-économique représente un fardeau considérable au niveau des Etats.
Cette maladie est-elle en voie de disparition ou n'est-elle même plus sous contrôle ?
Non. L'effort important consenti par la communauté internationale dans les années 50-60 - avec l'idée un peu folle d'éradiquer le paludisme - s'est relâché progressivement et le paludisme est en train de regagner ses terres d'origine. Je dirais même que c'est une maladie en pleine expansion, pour plusieurs raisons :
La pauvreté : il existe un lien direct et étroit entre le paludisme, la pauvreté et le sous-développement. C'est, entre autres, le propre du paludisme.
La désorganisation des systèmes de santé: de nombreux Etats ne sont plus en mesure de soigner les gens, voire de prévenir l'infection palustre.
Un manque d'engagement politique des Etats : ils ont d'autres soucis en tête, politiques ou économiques,
Un certain manque de solidarité internationale.
Pourtant, on peut faire quelque chose pour lutter contre le paludisme. Certaines grandes actions seraient à faire, à savoir: mobiliser des fonds; impliquer des partenaires; créer ou raviver un engagement politique et ramener la santé au niveau des priorités. .
Je soulignerai à la fin de mon exposé que ce que fait l'association qui nous réunit aujourd'hui dans l'île de Mohéli, c'est cela, à sa petite échelle. Nous verrons que l'on a dramatiquement besoin de ce genre d'exemple.
La situation est-elle simple ?
Non, il existe un certain nombre de problèmes techniques.
Répartition du paludisme: vous voyez qu'il est à peu près partout dans le monde tropical, à l'état endémique avec, dans certains endroits, des épidémies meurtrières venant compliquer le problème.
Pour soigner une maladie, la première intervention consiste à la dépister et à soigner le malade. Pour ce faire, encore faut-il avoir des outils (des médicaments efficaces). Nous nous apercevons que vis-à-vis des plus efficaces, les plus simples d'emploi pour lutter contre le paludisme (nivaquine ou dérivés), il y a de plus en plus de résistance du parasite. Nous avons donc davantage de mal à lutter avec ce que nous appelons les " médicaments de première intention " (simples, relativement bien tolérés, faciles à administrer et, surtout, efficaces).
Nous sommes passés à des médicaments de deuxième ligne (fansidar, la sulfadoxine pyriméthamine mais il existe de plus en plus de phénomènes de résistance des parasites à ces nouveaux médicaments. C'est un peu une course sans fond, il faut que leur développement aille un peu plus vite que le développement de la résistance chez les parasites.
Nous avons évoqué la résistance des vecteurs aux insecticides que l'on peut utiliser notamment sur les moustiquaires imprégnées. Ces derniers compliquent les choses et nous obligent, sur le plan technique, à développer sans cesse de nouveaux outils.
Sommes-nous désarmés ?
Non. Un traitement rapide et efficace du paludisme chez les enfants réduit la mortalité de 50 % au minimum. Si nous pouvions faire en sorte que les gens vivant dans les zones impaludées aient rapidement accès à un diagnostic et à un médicament, dans les heures qui suivent l'apparition de la pathologie, nous résoudrions en très grande partie le problème. La nivaquine notamment, malgré le fait qu'ici et là apparaissent des résistances, peut être utilisée dans certaines zones.
Promotion du traitement au niveau domestique ou villageois : dans de nombreux pays, les structures de santé sont insuffisantes, il faut donc amener au niveau des groupes, des sociétés, les outils leur permettant de lutter.
De nouveaux outils de diagnostic rapides comme des petites bandelettes permettent de diagnostiquer s'il s'agit oui ou non d'un paludisme. Cela ne s'adapte pas à toutes les situations mais à un certain nombre.
De nouveaux médicaments sont également en cours d'évaluation, notamment l'artesunate, produit dérivé de plantes cultivées en Asie du sud est (Chine, Viêt-nam) permettant de lutter efficacement contre les souches résistantes.
Les outils existent. Le problème est de les mettre en application.
On peut limiter l'impact de la résistance du parasite en faisant des associations médicamenteuses.
On fait des trithérapies dans le cas du Sida, des polichimiothérapies dans le cas de la tuberculose.
Le fait d'associer plusieurs molécules agissant sur des sites différents retarde l'apparition de la résistance.
Autre outil en développement permettant d'obtenir des résultats importants : les moustiquaires imprégnées d'insecticide peuvent réduire la mortalité de 20 à 25 % et la morbidité (maladie liée au paludisme) de 50 à 60
De nouvelles techniques apparaissent, notamment dans le domaine de la lutte anti-vectorielle. Par exemple de nouveaux insecticides permettant d'utiliser moins de DDT.
Le lien entre le climat, les moustiques et le paludisme est évident. Nous pouvons prédire le climat et, dans certains cas, les épidémies afin d'intervenir plus tôt.
Nous pouvons espérer être en mesure d'améliorer la réponse des structures de soins au problème du paludisme et, surtout, impliquer un ensemble de secteurs qui ne sont pas uniquement la santé mais tous les échelons de la société concernés de près ou de loin par ce problème.
Ces outils sont-ils efficaces ? Ont-ils un rapport coût-efficacité acceptable ?
La limite est d'environ 150 dollars par maladie évitée, par an et par personne (donnée générale non spécifique au paludisme).
Parmi les interventions à faire en matière de paludisme, notamment dans la prévention, le coût du traitement intermittent chez les femmes enceintes pour éviter les complications et certaines pathologies chez l'enfant à la naissance est extrêmement bas.
Les moustiquaires imprégnées coûtent environ 50 dollars, nous sommes donc très loin en dessous de ce seuil.
La plupart des Etats africains où survient 90 % et plus de la mortalité palustre dans le monde consacrent moins de 10 dollars par habitant et par an, montant inférieur au budget que les Etats du nord consacrent à la lutte contre les moustiques nuisants par le biais d'organisations de lutte.
Si nous avions l'argent et les structures pour faire au Burkina Faso ce qui se fait à la Réunion, le paludisme serait infiniment moins grave et l'on mourrait moins. Le problème est que ces Etats n'ont pas les ressources et peut-être pas non plus toujours la volonté politique d'investir le peu qu'ils ont dans ces pathologies.
L'OMS a souhaité relancer une initiative sur la lutte contre le paludisme, " Rollback Malaria " (Faire reculer le paludisme), face à ce contrat alarmant et désolant, à savoir qu'il existe les outils pour lutter mais, qu'inexorablement, la situation se dégrade. Cette initiative est basée sur un certain nombre de préceptes simples:
Documenter les situations : mieux connaître la situation telle qu'elle est réellement sur le terrain. Les chiffres sont imprécis parce que nous ne savons pas vraiment ce qui se passe.
Faire en sorte que les gens puissent avoir accès à un diagnostic précoce et à un traitement rapide.
Mettre en place une prévention. Il est très bien de soigner les gens mais si vous vous en contentez, vous ne ferez pas reculer la maladie. Vous diminuerez la mortalité, sans changer l'incidence. Les gens seront malades parce qu'il y aura toujours les moustiques pour transmettre. Il est donc important de compléter le soin par personne par une prévention limitant la transmission et donc l'incidence de la maladie.
Cette prévention se fait notamment par la lutte anti-vectorielle, avec les moustiquaires imprégnées mais aussi par des traitements préventifs chez les femmes enceintes.
Avoir une action coordonnée. Si nous voulons être efficaces, il est très important que les interventions faites dans le cadre d'une ONG aux Comores, au Burkina Faso ou au Mali par exemple, le soient dans un cadre plus général.
" Roll Back malaria " souhaite, en créant un partenariat international et national, arriver à une meilleure coordination des efforts pour une plus grande efficacité.
Créer un mouvement global : encore une fois, le paludisme pourra reculer dans les pays les plus pauvres s'il existe un réel effort de solidarité. Beaucoup de pays n'ont pas, même s'ils le voulaient, le budget pour lutter. Il faut donc que se recrée ce mouvement de solidarité.
Les Etats du nord, d'une façon ou d'une autre, peuvent et doivent aider à faire reculer le paludisme.
Une recherche focalisée permettant de mettre au point les nouveaux outils pour pallier la résistance des parasites, des vecteurs et, demain peut-être, un vaccin.
Pourtant, même si aujourd'hui l'on démontrait qu'un vaccin est efficace - mais personne ne s'avance à dire si nous en aurons un un jour -, il faudrait entre dix et quinze ans pour que ce dernier soit disponible pour un villageois des Comores ou du Burkina Faso.
L'objectif " de " Roll Back malaria " est de réduire de moitié si possible la gravité du paludisme dans les dix ans à venir par une augmentation d'environ trente fois la proportion des personnes ayant accès à un diagnostic et à un traitement efficace, de même que celles pouvant utiliser des moustiquaires imprégnées d'insecticide et dans la proportion des femmes enceintes pouvant recevoir un traitement préventif en cours de grossesse.
Tout cela pourrait être fait si la communauté internationale et les Etats concernés s'en donnaient les moyens.
Ce transparent devrait refléter les principales étapes de ce qu'est la stratégie du " Roll Back malaria qui reste à préciser. Les grandes lignes sont d'établir un consensus au niveau des intervenants (grands bailleurs de fonds, grands donateurs (Banque mondiale, USAID, Europe) ou organisations non gouvernementales qui ont un rôle extrêmement important à jouer dans ce programme).
Promouvoir au niveau des Etats des actions conjointes, notamment en s'appuyant sur les communautés. Si le mouvement (utilisation de moustiquaires imprégnées par exemple) ne part pas de la base, il y a peu de chances en effet que ce que nous amenons avec nous soit durable. Or, il faut que toutes les interventions que nous pouvons proposer, auxquelles nous allons participer financièrement et opérationnellement, aient un minimum de chance de durer, faute de quoi cela ne sert à rien.
Si nous mettons en place des interventions et des structures qui ne dureront que le temps que l'ONG ou le programme soit là, c'est reculer pour mieux sauter. Il faut mettre en place une action de lutte durable.
Tout cela doit bien entendu être dirigé, canalisé, soutenu par une expertise technique importante venant de la communauté scientifique, de l'OMS, des programmes nationaux dans lesquels interviennent des personnes formées.
Il ne suffit pas d'intervenir, il faut évaluer ce que nous faisons et être capables de dire, à hauteur de l'investissement consenti, voilà les résultats obtenus en matière de santé publique. Il faut également être soutenus par un effort de recherche important pour développer continuellement de nouveaux outils qui permettront d'aller plus loin.
Cette initiative " Roll Back malaria " qui se met en place repose sur un certain nombre de partenariats, grands ou petits.
En conclusion, je voudrais rappeler qu'il faut garder présent à l'esprit que le problème est complexe mais que nous pouvons faire quelque chose. Pour cela, une vraie solidarité doit s'installer.
Cela doit être fait de façon cohérente, avec les intéressés (pays participants, ministères de la santé, programmes nationaux de lutte contre le paludisme). Il faut bien se garder de surimposer des structures mais exploiter, renforcer celles existantes et, surtout, au-delà des idées généreuses, des slogans, retrousser ses manches et agir. C'est uniquement ainsi que nous aurons des résultats et non pas en restant dans son fauteuil ou sa tour d'ivoire. L'action est possible mais nous avons dramatiquement besoin d'exemples d'opérations fonctionnant bien.
L'une des raisons pour laquelle je suis venu ici aujourd'hui est que je pense que cet effort mené à Mohéli est bien fait. Le problème a été bien pensé, les bons outils utilisés. C'est fait en coordination étroite avec les autorités nationales.
L'interlocuteur suivant, lui-même Comorien et responsable de cette opération, vous expliquera comme il peut mettre en musique ces directives administratives et l'effort consenti à travers cette opération. Il me semble qu'il s'agit d'un excellent exemple qui devrait nous encourager.
Je terminerai en disant que l'une des initiatives que va lancer l'OMS prochainement est le programme Roll Back malaria Sahel ", lancé avec la participation active et le support financier du ministère des Affaires étrangères français. Il concernera, de la Mauritanie au Tchad, six pays du Sahel.
J'ai entendu parler tout à l'heure du Burkina et de Mali. Il me semble que dans ce programme, tout comme avec celui des Comores, il y a des opportunités et des chances à saisir.
Merci de votre attention. (Applaudissements).

M. ALAIN HOUDAILLE.- Merci de ce brillant exposé.
Je voudrais signaler l'arrivée de Pierre Bodineau, président du Conseil économique et social.
M. Guillet a bien lancé le message. J'ai retenu que le projet de Mme Etter était en parfaite cohérence avec la politique de l'OMS et que vous avez attiré l'attention notamment sur le Sahel puisque, dans la salle, de nombreux responsables d'associations interviennent dans cette région de l'Afrique. Je pense que votre message a été parfaitement entendu.
Y a-t-il des questions avant de passer la parole au dernier intervenant ?

M. PIERRE CORNILLOT, président de l'association Oasis.- Je voudrais poser une question aux intervenants précédents car si selon le premier intervenant, il y a 150 à 300 millions de cas nouveaux par an, si selon M. Guillet il y en a 300 à 500 millions et que la mortalité est d'environ 1 million par an, cela signifie-t-il que dans dix ans, hypothétiquement, toute l'humanité aura le paludisme ou, puisque la mortalité est relativement faible, que cette poussée épidémique va s'interrompre ?
Voulez-vous dire que l'on peut attraper plusieurs fois la malaria à travers le paludisme ?

M. PIERRE GUILLET.- Il y a une épidémie, une pandémie de Sida, il n'y a pas de pandémie du paludisme. La seule chose que nous pouvons dire, c'est que la situation du paludisme s'aggrave parce que l'on a baisser les bras, parce que l'on n'utilise pas les moyens dont on dispose pour résoudre ces problèmes.
Le nombre de morts est en augmentation du fait de la population mondiale des zones tropicales, notamment de l'Afrique dont le taux de croissance est le plus élevé du monde. Par la force des choses, sans intervention, il y a de plus en plus de morts.
Ce n'est pas une fatalité et, au niveau mondial, ce n'est pas une épidémie. Il s'agit d'une situation maîtrisable pour autant que l'on ait ou que l'on se donne les moyens de la maîtriser.

M. PIERRE CORNILLOT.- 500 millions par an, ce n'est pas endémique.
Comment voyez-vous le paludisme ? Est-ce une infection qui s'attrape une fois par an ?

M. PIERRE GUILLET.- M. Mouchet l'a dit: tout Africain dans les zones de transmission forte reçoit chaque nuit en moyenne une piqûre infectante de moustique. S'il n'a pas accès à un médecin ou à un infirmier, s'il ne peut pas trouver ou acheter dans un délai raisonnable un médicament, comment voulez-vous que nous ne soyons pas à 300 millions de cas par an ?
Ce chiffre est scandaleusement élevé mais c'est une triste réalité.

M. JEAN MOUCHET.- Tout ceci sur un fond illimité. Si les enfants reçoivent cent piqûres par an infectées, une ou deux aboutissent à un cas de paludisme clinique. Dans la population infantile, les enfants font rarement plus d'une ou deux crises de paludisme par an. Cela dit, cela guérit parfaitement.

M. ALAIN HOUDAILLE.- Nous allons terminer cette table ronde avec M. Ahmed Ouledi, entomologiste médical, chercheur associé à l'université de l'océan Indien et directeur du programme de lutte contre le paludisme aux îles Comores. Je précise également que M. Ouledi a fait ses études à Nantes et à Paris.

M. AHMED OULEDI.- Mesdames et Messieurs, honorables invités, beaucoup de choses ayant été dites, je vais essayer de vous présenter rapidement la situation du paludisme aux Comores, les efforts faits par l'association dirigée par Mme Etter depuis deux ans et les résultats obtenus. Il me semble en effet que lorsque l'on entreprend une opération, il faut connaître les fruits obtenus et surtout solliciter l'appui des différentes associations et des différents responsables ici présents pour la poursuite des opérations initiées depuis ces deux années.
Poids du paludisme aux Comores : c'est la première cause de morbidité. Sur cent personnes se rendant à l'hôpital, trente à trente-cinq se présentent pour être traitées du paludisme. Sur cent enfants hospitalisés en pédiatrie, dix à vingt décèdent du paludisme chaque année. Cela représente la première cause de mortalité, après les infections respiratoires aiguës constatées dans les hôpitaux.
Le paludisme est au premier rang des cinq pathologies déclarées aux Comores.
Absentéisme dans les écoles, l'administration, les champs : 80 % est justifié par le paludisme.
Au plan économique, le paludisme constitue un frein très important pour le développement des îles Comores. Ce qui a justifié la mise en place d'un programme national de lutte contre le paludisme.
A Mayotte, le problème est résolu partiellement. Dans cette île, collectivité territoriale française, des efforts ont été faits de 1975 à 1986, réduisant le paludisme à un niveau tel qu'il ne constituait plus un problème de santé publique. Mais depuis ces dernières années, une nette augmentation est liée au fait que les opérations de lutte ont diminué, l'apport financier étant extrêmement faible.
A Anjouan, le paludisme est saisonnier. Il arrive pendant la saison des pluies et reste toute l'année au niveau de la côte ouest. Sur la côte en face de Mutsamudu, il existe très peu de transmission et aucune dans la zone d'altitude.
Anjouan est une île prismatique très montagneuse. La transmission du paludisme s'est faite en fonction des petits cours d'eau circulant à travers le pays. L'augmentation du paludisme est fonction de la situation géographique de l'île.
Mohéli, petite île des Comores, est au plan écologique extrêmement intéressante puisque l'environnement est très préservé, bien qu'il y ait des problèmes actuellement, avec la présence des îlots de Numachua, où le paludisme se maintient à cause de la richesse en eau de l'île. Quand il pleut, des gîtes sauvages se font dans les nombreux cours d'eau, permettant le développement des larves de moustiques et la transmission du paludisme.
Dans la Grande Comore, il n'y a pas d'eau. Quand il pleut, celle-ci ne reste pas en surface mais disparaît. Le sol est éminemment perméable et la population elle-même entretient le paludisme. Les habitants construisent des citernes, collectent l'eau de pluie. Ils font ainsi l'élevage des larves de moustiques qui, adultes, les piqueront le soir et recommenceront le cycle du paludisme. C'est l'exemple type d'une population qui entretient son paludisme.
Nous avons des spécificités en fonction de chaque île et les stratégies vont changer. Sur Anjouan, nous avons pensé utiliser les moustiquaires imprégnées et le traitement insecticide sur les zones où le paludisme est saisonnier mais nous pouvons aussi utiliser toute l'année les moustiquaires.
A Mohéli, les études menées aux Comores indiquent que les piqûres de moustiques transmettant la maladie commencent à 22h-22h3O et la transmission maximale est entre OHOO et 2hOO, quand les gens dorment. Comme ceux-ci dorment généralement sans moustiquaire, cela explique l'augmentation de la transmission. Nous avons préconisé l'utilisation de la moustiquaire parce que cela empêche le contact entre l'homme et le moustique. C'est en quelque sorte une barrière physique qui peut être améliorée par l'imprégnation d'un produit insecticide sur la moustiquaire.
A la Grande Comore, nous avons conseillé la moustiquaire imprégnée et une méthode novatrice: l'utilisation des poissons larvivores (poissons mangeant les larves de moustiques). Ceux-ci, mis dans les citernes, mangent les larves.
Au début, nous avons mis des poissons de l'espèce gambusia, relativement gros, mais les enfants les pêchaient et les faisaient frire. Nous utilisons maintenant les guppys, petits poissons d'aquarium de 3 à 4 centimètres que les gens ont du mal à pêcher. Ils ont une grande capacité de reproduction: la portée est d'environ 100 alvins toutes les trois semaines.
La méthode a beaucoup fonctionné dans la Grande Comore. Seule difficulté : les populations nettoient tous les ans leurs citernes en attendant la saison des pluies et donc, en même temps, les poissons.
Partenaires actuels du programme de lutte contre le paludisme aux Comores: l'Organisation mondiale de la santé, l'Unicef, le programme des Nations unies pour le développement, la coopération française et Médecins du monde qui travaille sur le secteur nord de la Grande Comore.
Dans le projet initié avec Mme Etter, que la région a soutenu, ont participé l'association des Mohéliens de France, l'association Démocratie et Solidarité, la mission française de coopération, le programme national de lutte contre le paludisme et d'autres intervenants.
L'objectif majeur de ce projet a été de contribuer à la réduction de la transmission du paludisme par la participation de la communauté et l'utilisation des moustiquaires imprégnées.
Points forts de ce projet après deux ans d'exécution :
Nous avons pu mettre en place 40 comités de lutte contre le paludisme dans l'île de Mohéli (290 km2 de superficie) comprenant 26 à 29 villages, dont 13 dans la capitale. Dans chaque village, un comité imprègne les moustiquaires.
La demande en moustiquaires est forte. Le projet a permis d'en rendre disponibles entre 2 500 à 3 000. C'est important puisqu'avant la mise en place de ce projet, la moustiquaire coûtait 200 FF. Actuellement, on peut l'acquérir à 20 FF. L'accessibilité auprès des communautés est ainsi grandement améliorée.
Points faibles:
Il faudra renforcer la faiblesse des structures de l'île par la formation, la continuation de ce que nous faisons pour la réimprégnation (une moustiquaire imprégnée durant six mois).
L'accessibilité encore faible pour les groupes les plus vulnérables : femmes enceintes et enfants. Il a été dit ici que les enfants de 0 à 5 ans sont les premiers à être attaqués par le paludisme. Par ailleurs, il y a beaucoup d'avortements spontanés liés au fait que les femmes portent le paludisme.
Conclusions :
Après deux ans d'exercice et d'utilisation des moustiquaires imprégnées, nous pouvons dire qu'il y a un début de réalisation prometteur de ce projet.
Nous avons jeté les bases pour un développement futur de la lutte contre le paludisme aux Comores, et à Mohéli en particulier.
Il est nécessaire d'accroître les approvisionnements en moustiquaires et en produits d'imprégnation.
Dans toute activité que nous menons, nous devons renforcer le rôle de la sensibilisation : sensibiliser les populations à utiliser les moustiquaires, les impliquer dans la lutte. La force de cette lutte, c'est que la population elle-même prend en charge. Au niveau du programme, nous avons un appui technique d'évaluation, de soutien sur l'imprégnation des moustiques mais il est nécessaire que nous puissions renforcer cette sensibilisation.
Continuer l'oeuvre commencée puisque nous ne pouvons pas nous arrêter en si bon chemin. Nous pensons que nous allons arriver à bout du paludisme.
Je vous remercie.(Applaudissements).

M. ALAIN HOUDAILLE.- Merci Monsieur Ouledi. Nous arrivons au terme de cette table ronde. Merci à Madame l'ambassadrice, merci à vous tous, Messieurs les experts. Vous avez été brillants, parfois passionnés. Je pense que nous ne quitterons pas cette séance sans nous remettre en perspective puisque nous sommes ici parfaitement convaincus dans nos associations, notamment celles intervenant dans les pays touchés par le paludisme. Je pense également à cette pandémie du Sida dont nous avons parlé.
Il me semble que nous avons un regard amical et solidaire en direction de cette Afrique et même, au-delà de l'Afrique, du Cambodge ou d'ailleurs. Devant nous, ensemble du réseau associatif et collectivités, nous avons un très grand travail à faire pour venir à bout, comme nous l'espérons tous, de cette maladie.
Monsieur le président du Conseil économique viendra peut-être clore par quelques mots cette journée. Quant à moi, je vous remercie.
M. PIERRE BODINEAU.- Rassurez-vous, je ne vais pas abuser de votre temps, vous avez déjà été très patients durant cette conférence. Je voudrais simplement saluer nos invités, notamment Mme l'ambassadrice, et faire une petite réflexion finale sur la raison pour laquelle, dans le cadre d'une assemblée socioprofessionnelle ayant vocation à s'intéresser exclusivement aux problèmes de cette vieille province qu'est la Bourgogne, nous parlons du paludisme, et notamment dans les Comores.
Cela tient au fait que nous avons voulu, dans cette assemblée, faire sentir que la mondialisation ne s'exprime pas seulement à travers le changement de dimension des activités économiques et bancaires, mais aussi à travers la nécessaire solidarité qui doit continuer d'exister. Même si le message de celle-ci ne passe peut-être plus de manière aussi importante qu'il y a quelques années entre des pays riches et des pays qui le sont moins ou qui, compte tenu de leur configuration géographique, ont encore à lutter pour leur développement.
C'est ce que nous avons voulu exprimer lorsque nous avons rendu un avis en demandant que la Région, dans sa politique internationale, n'oublie pas cette dimension nord-sud (pour faire simple), mais plutôt cette dimension " attention " aux pays en voie de développement.
Nous avons souhaité ensuite concrétiser cette préoccupation en favorisant la naissance d'une association que Monsieur Houdaille préside, dont la mission est de faire travailler ce réseau des bonnes volontés existant à travers de nombreuses associations, mais pas assez en Bourgogne, en liaison avec d'autres réseaux existant dans d'autres régions de France.
L'initiative d'aujourd'hui est tout à fait symbolique parce notre souci était d'entreprendre ou d'aider à des actions très concrètes. Celle-ci en est une puisqu'il s'agit à la fois d'une action d'information sur un fléau assez mal connu et de sensibilisation. Nous comprenons mieux ainsi le rôle respectif que jouent les ONG, les organisations internationales comme l'OMS, les gouvernements. Nous nous rendons compte aussi qu'il est peut-être plus facile de convaincre des gens qui seraient heureux sans doute de participer à des actions de générosité en leur montrant concrètement à quoi cela sert.
Sur ce plan, la conférence d'aujourd'hui a été tout à fait édifiante.
Nous nous retrouverons tout à l'heure pour une exposition destinée à montrer un pays, une culture, des valeurs différentes des nôtres. Cela n'est pas innocent de notre part. Nous pensons que même si la télévision, le progrès technique raccourcissent les distances, il y a encore de très nombreux efforts à faire pour s'interpénétrer ou même simplement s'échanger des cultures différentes. Là aussi, il nous semble que nous avons peut-être un rôle modeste à jouer. C'est ce que nous essayons de faire, avec beaucoup d'humilité mais, croyez-le bien, avec beaucoup d'espérance.
Je vous invite, si vous le voulez bien, à continuer notre échange dans un lieu plus convivial et je remercie tous ceux qui sont intervenus. (Applaudissements).

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